Le football vu par un sociologue

Pourquoi le football passionne-t-il autant ? Christian Bromberger, sociologue et anthropologue du football, s’est posé la question. Pour lui, le sport au ballon rond est un condensé de la vie. Une sorte de miroir qui reflèterait notre quotidien : « Il y a dans ce sport quelque chose qui renseigne sur la vie. Pour réussir, il faut du mérite, de la solidarité et un fort esprit d’équipe. Et comme dans la vie de tous les jours, le facteur chance joue un rôle important. Il est difficile à maîtriser, inanticipable. » Réussite, échec, chance. Christian Bromberger va plus loin dans le parallèle qu’il fait entre le football et le quotidien. Pour lui, l’arbitrage serait assimilé à la justice. « Une décision crée un débat. Un verdict est discutable. On peut se sentir injustement sanctionné. En sport, une décision peut permettre de relativiser une défaite ou de fêter une victoire. » L’auteur du livre « Le match de football » (Editions de la Maison des sciences et de l’homme, ndlr) met aussi en avant l’intensité ressentie par les supporters : « Un match de foot, c’est une expérience corporelle. Les fans éprouvent des émotions avant, pendant et après la rencontre. Certains, dorment mal la veille, stressent et s’alimentent différemment à l’approche d’un match de leur équipe. Dans les tribunes, leur agitation nerveuse s’exprime par l’expression de la colère, du bonheur ou de la tristesse. Certains transpirent, d’autres ont les jambes coupées, sur certains visages quelques larmes se dévoilent. »

Christian Bromberger, lors d'un conférence donné à l'INSEP

Christian Bromberger, sociologue, lors d’un conférence donnée à l’INSEP en avril 2014

Des émotions qui, selon l’anthropologue, sont petit à petit vouées à disparaître au dépend d’une volonté de diminuer les facteurs  aléatoires dans les rencontres sportives. « Les enjeux financiers sont énormes pour les clubs. Le facteur chance tente donc d’être contrôlé au maximum. » Et plus les clubs sont riches, plus ils ont la possibilité de le faire. Les meilleurs joueurs sont ainsi recrutés dans les meilleures équipes. Les équipes qu’elles rencontrent n’ont souvent pas les armes pour lutter contre l’artillerie lourde proposée par les clubs majeurs. Ainsi, les résultats de ces rencontres sont quasiment annoncés avant même d’êtres jouées. Le suspense sportif en est donc réduit aux grands clubs. Heureusement, le sport restant du sport, quelques surprises voient le jour et une fois de temps en temps David envoie Goliath au tapis.

Pour le sociologue, les avancées technologiques seraient aussi un moyen de pallier au caractère aléatoire des rencontres sportives. « L’arbitrage vidéo met fin à tout débat, alors que la discussion, c’est l’essence même de la vie. Quand une équipe perd, la chute est plus difficile. Plus question de relativiser ou de déplacer la faute. Les joueurs et les spectateurs prennent conscience qu’ils sont les seuls responsables de leur échec. » Plus de gris sur les terrains de football. Désormais il faut choisir son camp : noir ou blanc.

« Paye, assieds toi et tais toi »

Les premières victimes de cette chasse à l’aléatoire, ne sont autres que les supporters. Comment vibrer lorsque l’on va voir un match en en connaissant déjà son issue ? Comment s’identifier à une équipe qui change tous les ans voire tous les six mois ?

Parc des princes Crédit Photo : L'Equipe/Pierre Lahalle

Parc des princes
Crédit Photo : L’Equipe/Pierre Lahalle

Au fil des années, le rôle du spectateur dans le stade a changé. Principale source de revenu dans les années 80, la billetterie représente seulement 1% du budget d’un club aujourd’hui. Insignifiant. Et cela se ressent. Alors que les supporters faisaient partie intégrante de la vie du club, ils en sont aujourd’hui exclus : entraînements fermés, rencontres joueurs-supporters inexistantes… « Le spectateur est dépossédé de sa part de supportarisme, explique Bromberger. Dans un stade tout est sous contrôle. On assiste a une nouvelle politique d’encadrement des supporters : ‘le tout assis’. Ainsi, une nouvelle devise des organisateurs et des clubs a vu le jour : ‘paye, assieds toi et tais toi’. »

« Tais toi ». Il est loin le temps des stades colorés aux sons folkloriques et farfelus. Le temps où l’on entendait des bruits sortis tout droit d’instruments artisanaux, fabriqués avec entrain. Dans les stades, cornemuses, assiettes en cartons, vieilles casseroles, tout était prétexte à se faire entendre. Les répertoires vocaux aussi variés qu’originaux étaient repris en chœur. « Nous entrons dans une forme de transition vers un spectacle aseptisé qui prive le public d’une participation active. C’est comme si on lui supprimait son rôle de douzième homme (statistiquement les équipes gagnent plus à domicile qu’à l’extérieur). Le côté coloré des tribunes est aussi en train de disparaître, la réglementation limite le pouvoir des supporters. Ainsi, en Italie, les banderoles sont interdites dans les stades. »

Parmi les autres grandes mutations observées par Christian Bromberger dans les enceintes footballistiques : la masculinisation des gradins. Les filles se font de plus en plus rares, excepté pendant la Coupe du monde. L’événement sportif le plus regardé au monde fédère les foules. Avec 700 millions de téléspectateurs à travers le monde l’édition brésilienne 2014 a battu tous les records d’audience. Au fil des évolutions, le football ne cesse cependant de cristalliser les foules et de faire rêver.

Méryll Boulangeat @Meryll_B

Propos recueillis à l’occasion de la conférence des Mardis du Master du 8 avril 2014 à l’INSEP.

 

 

 

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7 réflexions sur “Le football vu par un sociologue

  1. manulescarla dit :

    Salut à tous !
    J’ai envie de réagir à cet article sous la forme d’un billet d’humeur…
    Dès la première citation C. Bromberger apparait dépourvu de recul et d’esprit critique : « Pour réussir, il faut du mérite, de la solidarité et un fort esprit d’équipe. » Point final !… Les deux dernières expressions semblent redondantes, tandis qu’il oublie d’autres qualités nécessaires à la réussite, comme l’esprit de compétition, la capacité à jouer la comédie et le dopage.
    L’esprit de compétition : le football participe de l’intégration dans notre société, où il est normal que très peu réussissent. Où la réussite se compte en gains matériels. Et où tous les moyens sont bons pour les obtenir, d’où les comédies (les joueurs doivent savoir tomber, se rouler par terre de douleur et se remettre à courir dans la foulée, si possible après avoir obtenu une faute), les matchs arrangés, les arbitrages douteux, le dopage ; et parfois les paris truqués.
    Toujours en reprenant son thème du parallèle foot-quotidien C. Bromberger pourrait parler de la très large majorité des joueurs dont le salaire est peu élevé bien qu’ils participent grandement à l’enrichissement de leurs employeurs. Ou encore de la recette pratiquée depuis longtemps par les puissants pour les aider à contrôler les masses : « Panem et circenses » disaient les Romains, autrement dit « Du pain et des jeux » : si les gens ont de quoi survivre et de quoi se divertir (tout en faisant bien attention à les empêcher de développer une réflexion critique, ou tout au moins à ce que cette réflexion critique reste très minoritaire et contrôlée) ils collaboreront sans broncher, ils travailleront pour leurs maîtres avec reconnaissance.
    Ainsi on pourrait faire un autre parallèle entre le football et le quotidien : certains, comme C. Bromberger, sont payés pour désinformer et empêcher les gens de penser, pour être des chiens de garde comme certains les appellent, c’est-à-dire des gentils toutous bien soumis qui font leur possible, consciemment ou non, pour inciter chacun à marcher avec le troupeau sous la direction de leurs maîtres. Qui pourtant mènent le monde à sa perte.
    Si je conseillais la lecture d’un sociologue du sport ce serait plutôt celle de Jean-Marie Brohm.

    • Desh dit :

      Pourquoi réagis-tu en ne lisant que les deux premières phrases ? Tu racontes à peu près tout et son contraire, même si effectivement le point de vue du sociologue n’apporte rien de neuf et enfonce quelques portes ouvertes (avec des remarques juste smalgré tout). Le pire, c’est que tu répètes à peu près la même chose que lui avec d’autres mots : en gros, t’es d’accord lol. Mais dire qu’il empêche les gens de penser, c’est du grand n’importe quoi. La prochaine fois, avant de te prendre pour un journaliste et faire un « billet d’humeur », lis le texte en entier !

      • manulescarla dit :

        Desh…
        De Bromberger je n’ai évidemment pas lu que les deux premières phrases de cet article, j’ai même lu bien davantage que les quelques citations proposées ici. Je ne comprends donc ni ton accusation ni ton style, que je tempère en remarquant que selon toi je dis tout et son contraire, mais que pourtant je répète à peu près la même chose que lui… Amusant, tu en conviendras.
        Tandis que C. Bromberger parle des enjeux financiers, de la gestion des supporters et de la masculinisation des stades (???), c’est-à-dire de ce qu’il se passe à l’intérieur du monde du foot, sans remettre en question le rôle que joue le foot dans notre société, je ne parle que de ce dernier point…
        Ma problématique n’est pas d’être d’accord ou pas avec ce qu’il dit ; si j’avais adopté son point de vue intérieur je serais sans doute d’accord d’ailleurs ; mais ce point de vue est déjà largement développé dans les médias, et le seul point avec lequel je suis d’accord avec ce que tu as écrit c’est que Bromberger ne lui apporte pas grand chose.
        Mon point de vue est plus extérieur, avec plus de recul que lui sur la société et sur ses méthodes d’intégration, point de vue plus intéressant ne serait-ce que parce qu’il est plus rare. Je ne critique pas la hausse des prix des billets ni l’interdiction des banderoles due à des débordements racistes ou homophobes, j’interroge le rôle du foot, et par ce biais d’autres divertissements, dans l’assujettissement des peuples.
        Enfin je ne me prends pas pour un journaliste, mais le style « billet d’humeur » ne leur est pas réservé à ce que je sache.

    • LeTissier dit :

      Bonjour
      Aussi insipides qui puissent vous paraître les propos de C. Bromberger, ils ont au moins le mérite d’essayer de faire comprendre les raisons du succès planétaire du football. Brohm, lui, déteste le sport business et plaque depuis 30 ans sa vision marxiste des choses sur le football. Ca plait à un petit nombre mais il n’explique rien. Comme répéter bêtement que les footballeurs sont dopés ou corrompus ou trop payés n’explique en rien pourquoi le foot est populaire.
      Bromberger, lui, a bien expliqué (dans La passion partisane, je crois) que le succès du foot repose sur les erreurs d’arbitrage, sur l’interprétation sans fin de la règle du hors jeu, sur les surprises sans équivalent dans les autre sports et surtout sur le fait que tout cela anime des discussions sans fin avant et après les matchs. Le foot est le sport le moins prévisible (voir la difficulté de gagner au loto sportif) et le plus discutable. Le foot moderne veut rompre avec l’imprévisible, même si un type comme Platini semble conscient de l’importance de maintenir l’erreur d’arbitrage.

      • Thib071293 dit :

        Avez-vous déjà été victime vous-même d’une grande injustice sportive ? Vous ne tiendrez pas probablement pas ce discours si c’était le cas. L’argument selon lequel la passion envers ce sport provient des débats causés par des erreurs ne saurait être suffisant ; nombreux sont les autres facteur qui rendent ce sport très attrayant aux yeux des passionnés (le jeu lui-même, l’enjeu des titres, les stratégies, le poids de l’histoire et j’en passe..)On s’en sortira très bien sans les erreurs d’arbitrage. (Au passage l’argument de Platini consiste seulement à dire que ça casserait le rythme du jeu, rien d’autre).

  2. […] Le football vu par un sociologue | Le sport entre les lignes. Pourquoi le football passionne-t-il autant ? […]

  3. Arim dit :

    Autant je suis plutôt d’accord avec le premier paragraphe, autant je ne comprend pas du tout la suite.
    Alors que l’auteur nous explique que le foot est destiné à devenir moins populaire (cf les exemple donnés sur la baisse d’importance du facteur chance, donc moins d’émotions pour le public, donc logiquement moins d’intérêt), il conclut par le fait que la Coupe du Monde fait plus d’audience qu’avant.

    Et puis, ses exemples du dernier paragraphe montrent une relative méconnaissance du foot : les recettes « jour de match » (billetterie, boissons …) représentent environ 10% des revenus des clubs français, connus pour avoir un ratio « recette jour de match/budget » particulièrement faible ; s’il est vrai que la majorité des stades ont un public triste (bonjour la première league), il y a des contre-exemple comme Dortmund et son « mur jaune », 25’000 places debout dans un virage.

    Enfin, je me demande ce que vient faire la masculinisation du public dans l’affaire : un simple constat sans analyse ni rien, comme pour rallonger l’article …

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