-Par Méryll Boulangeat-
Le Vendée Globe est une machine à rêves. Pour la plupart des gens, partir en solitaire autour du monde est une utopie, un rêve fou enfoui qui a peu de chance de se réaliser un jour. Mais parmi le public présent dimanche aux Sables d’Olonne, une poignée de spectateurs porteront un regard différent sur l’évènement : des navigateurs, passionnés et entraînés qui lorgnent déjà sur la prochaine édition. Manque de budget, de temps, d’expérience. Autant de raisons qui font qu’ils n’ont pas pu s’aligner cette année. Alors ils sont là, dans l’ombre, à s’imaginer sur ce ponton dans quatre ans. C’est aussi et surtout pour eux l’occasion d’observer, de prendre des informations pour mener à bien leur projet. Mais avant d’en arriver là, la route est longue. Alors que le départ du Vendée Globe 2016 n’a pas encore été donné, rencontre avec quatre skippers qui sont déjà tournés vers 2020.
Nicolas Boidevezi, le globe de la récompense
La carrière et l’histoire de Nicolas Boidevezi sont atypiques. Alsacien expatrié en Savoie pour devenir moniteur de ski, le navigateur s’est lancé assez tardivement dans la course au large. « Je suis autodidacte, explique-t-il. J’ai toujours aimé la voile et été attiré par la course au large en solitaire. J’ai assisté au départ de la mini transat en 2003 et en 2007. La dernière année je me suis dit : dans deux ans j’y serais. Et j’y étais ! ». Poussée par une envie indescriptible de rejoindre le grand large, il a tout quitté pour s’installer sur la côte ouest. Petit à petit il a réussi à se faire une place, « même si au début ce n’est pas facile quand tu ne viens pas du milieu». De fil en aiguille, de navigation en navigation, l’idée de se lancer dans l’aventure Vendée Globe a pris tout son sens. Alors Nicolas Boidevezi s’est attelé à transformer son rêve en réalité. Mais pour atteindre le ponton des Sables d’Olonne la route est longue. La qualification sportive n’est pas l’étape la plus compliquée. Avant, il faut trouver un bateau. Valeur de l’investissement : environ un million d’euros. Une somme importante à laquelle s’ajoute les frais de fonctionnement qui, dans les meilleurs des cas, doublent la facture : un million d’euros par an en moyenne. Nicolas Boidevezi s’est alors transformé en chef d’entreprise pour monter le projet, démarcher les éventuels partenaires, amplifier son réseau… Il a commencé à mettre en place sa nouvelle vie d’ « entrepreneur sans salaire » trois ans avant le départ de l’édition 2016. Un an après il avait trouvé un investisseur, acheté le bateau : le rêve à portée de main. Ne manquait « que » les frais de fonctionnement. Les partenaires intéressés se sont succédés sans jamais s’engager. Le temps, lui, à continuer de filer. Si bien qu’en mars dernier il lui manquait toujours les 2/3 du financement. Le skipper frisé a alors pris la décision de se retirer, il a revendu le bateau et déplacé son rêve à plus tard, en 2020. « C’était dur mais c’était le choix de la raison, se souvient-il. Les enjeux sont importants. Je pouvais encore revendre le bateau à cette époque, je ne voulais pas prendre un risque qui aurait pu devenir immaîtrisable. » Présent aux Sables d’Olonne, il observe avec envie les skippers qui vont prendre le large. Avec un petit pincement au cœur, celui qui a touché du bout du doigt son rêve regarde le bateau qui aurait du être le sien se faire briquer et bichonner pour un autre marin. « Je sais que tout ce qui a été fait n’a pas servi à rien. Même si je dois prendre le temps de digérer tout ça, je repars avec la même envie. » Rendez-vous en 2020 !

Nicolas Boidevezi n’a pas pu prendre le départ à cause d’un manque de financement. CP/facebook
Samantha Davies, jamais deux sans trois

Samantha Davies, « c’était mon choix de ne pas prendre le départ cette année.Mais je participe quand même à travers mon mari qui participe à son premier Vendée Globe »
CP/Facebook
L’édition 2016 du Vendée Globe ne compte aucune femme au départ. Une situation assez rare qui ne devrait pas se reproduire dans quatre ans. Samantha Davies a déjà annoncé ses ambitions de prendre le départ de la course au large la plus longue du monde pour la troisième fois (4ème en 2008-2009, abandon en 2012-2013). En attendant le moment de mener à bien son projet elle passe des heures sur les pontons des Sables d’Olonne à s’occuper du bateau de son compagnon, Romain Attanasio, qui prendra le départ dimanche pour la première fois. « C’est son rêve depuis toujours d’y participer, confie la britannique. Je suis tellement contente qu’il puisse s’aligner. Je m’investie à fond dans son projet. Comme ça j’ai l’impression d’y être moi aussi. C’est pour ça que je n’aime pas parler de 2020, pour le moment je mets mon énergie à soulager Romain sur le côté logistique notamment. Quand ce sera fini je pourrais me concentrer sur mon propre projet. » Le couple de navigateur est très populaire dans le village. Même si elle ne prend pas le départ, Samantha est ultra sollicitée. Entre les interviews, les conférences, les autographes, la préparation du bateau et des détails de dernière minute son emploi du temps est surchargé. « C’est assez spécial d’être ici sans participer. Mais c’est bien de pouvoir vivre l’événement différemment. Je profite à fond. » Une fois les amarres de son compagnon larguées, Samantha s’apprêtera à relever un nouveau défi, jusqu’ici inconnu : reprendre une vie « normale » avec son fils Ruben. « La vie à terre ce n’est pas facile non plus. C’est la première fois que je vais me retrouver dans cette situation, je ne sais pas trop comment je vais le vivre». Loin des régates en solitaire, des nuits glacées passées en mer et des plats lyophilisés, miss Davies passera son hiver au chaud dans son canapé, les yeux vissés sur son téléphone ou son ordinateur à suivre de loin son compagnon voguer sur les mers du monde entier. Avec l’idée dans un coin de sa tête que dans quatre ans ce sera son tour à elle !

Samantha Davies aux Sables d’Olonne
Damien Seguin, le globe en exemple

CP/facebook

Damien Seguin, champion paralympique de voile à Rio
Le Vendée Globe c’est avant tout une histoire d’hommes. Des histoires fortes qui se dévoilent, qui se racontent. Cela tombe bien car l’histoire de Damien Seguin mérite qu’on s’y attarde. Handicapé de naissance de la main gauche, celui qui a passé son enfance en Guadeloupe vient d’annoncer qu’il commençait à préparer l’édition 2020 : « le Vendée Globe, tout le monde y pense. C’est l’Everest des mers. » Pourtant, c’est dans une autre discipline qu’il a tutoyé les sommets. Il s’est illustré en voile paralympique, sport dans lequel il a décroché trois médailles aux Jeux paralympiques, une en argent et deux en or, dont la dernière l’été dernier à Rio. Parallèlement à sa carrière de haut-niveau, il rêve de s’essayer à la course au large en solitaire. En 2006, après avoir essuyé un refus de l’organisation l’année précédente à cause de son handicap, il prend le départ de la solitaire du Figaro avant de retrouver l’univers olympique et décrocher sa dernière médaille d’or. L’or en poche, il décide d’entamer l’ultime défi : le Vendée Globe. « Aujourd’hui tout est à construire, confie-t-il. M’habituer au format de course, appréhender le fait de passer autant de temps en mer, trouver un bateau, des partenaires financiers, connaître le voilier… J’ai quatre ans pour bosser et y arriver. Je pense qu’il ne faut pas moins de temps.» Outre l’envie de passer des mois seul en mer, c’est l’envie de prouver qu’il en est capable qui pousse Damien Seguin : « J’aimerai que ma participation permette d’ouvrir les yeux aux gens sur le handicap. J’ai envie de prouver que je suis capable de le faire, que mon handicap n’est pas un frein. Je peux m’adapter au bateau, je fais peut-être les manoeuvres différemment des autres skippers mais ça marche et finalement c’est le résultat qui compte. » Déterminé, Damien Seguin, sait déjà sur quel bateau il aimerait naviguer et les étapes à franchir afin d’arriver dans quatre ans dans les meilleures dispositions. « L’idée est d’arriver au départ prêt physiquement, techniquement, avec un bateau bien abouti », se projette-t-il. Sa carrière olympique brillamment menée, il y a peu de doutes que sa reconversion ne suive pas le même chemin !
Aurélien Ducroz, la consécration
Montagnard pure souche, rien ne prédestinait Aurélien Ducroz à rêver de Vendée Globe un jour. Pourtant, via le hasard des rencontres, le double champion du monde de ski freeride, a commencé à troquer ses skis contre des voiliers. La mer a remplacé la neige. En 2010, conseillé et épaulé par ses amis marins, il a appris à connaître et apprivoiser ce nouveau milieu jusqu’à y prendre goût et se lancer dans la compétition. Petit à petit il a appris les gestes, les codes du milieu marin. De nouvelles surfaces de glisse, un nouveau vocabulaire, de nouveaux objectifs. Poussé par une soif d’apprendre et de progresser sans cesse il gravit petit à petit les échelons. Quatrième du tour de France à la voile 2016, il s’est aussi essayé à la classe mini, au Figaro, à l’Imoca… Déterminé à mener son projet de Vendée Globe à bien, il arpente le ponton principal des Sables d’Olonne les yeux rivés sur les bateaux à la recherche de celui qui pourrait un jour devenir sien. « Pour l’instant, il y en a trois qui me plaisent, confie-t-il. Le plus dur reste de trouver le budget pour l’acheter. » Le budget est la principale problématique de la course au large. D’où l’importance d’ajouter à sa casquette de marin celle de chef de projet pour trouver des fonds et des financements. Chaque navigateur a sa propre histoire et communique dessus pour attirer des partenaires. Le profil d’Aurélien peut faire la différence. « Avec le ski l’hiver et la voile l’été je représente mes partenaires toute l’année. Il n’y a pas de période creuse au niveau de la visibilité et c’est un réel avantage pour les marques qui s’engagent à mes côtés. » En attendant le skipper assistera demain au départ de la course avant de rejoindre la neige et ses montagnes pour passer l’hiver et commencer à préparer son Vendée Globe.

le double champion du monde de freeride, Aurélien Ducroz vise le Vendée Globe en 2020
Les autres articles sur la voile et le Vendée Globe sont à lire ici !