
Noémie Balthazard, membre des équipes de France d’ensemble.
Crédit photo : L’Equipe/Lablatinière
Tous les sportifs de l’INSEP s’accordent à le dire : « Quand tu finis ton entraînement après les GR, c’est que la journée a été longue ». Les GR, ce sont ces jeunes filles, les gymnastes rythmiques de l’Equipe de France, qui s’entraînent entre 35 et 40 heures par semaine. Depuis la grande baie vitrée du complexe sportif d’Oriola de l’INSEP, les curieux ont un poste d’observation privilégié. En contre-bas, les gymnastes virevoltent telles de petites fées, faisant valser leurs engins (massue, ruban, ballon, cerceau ou corde) au rythme de la musique. Encore et encore, elles répètent leurs gammes, à la recherche de la perfection. Rares sont les moments où la salle est vide. Un entraînement intensif, pourtant insuffisant pour accrocher les podiums internationaux.

Noémie Balthazard lors d’une démonstration dans la salle d’Oriola de l’INSEP.
Crédit photo : L’Equipe/Martin
Depuis la création de la GR (anciennement GRS), dans les années 40, les gymnastes issues des pays de l’est dominent la discipline. Certes, le sport a vu le jour en Union Soviétique mais depuis, de nombreux pays le pratique…sans, néanmoins, ne jamais réussir à s’y imposer. Depuis 1963, date des premiers Championnats du monde, tous les titres mondiaux et olympiques ont été raflés par les Russes, les Bulgares et les Ukrainiennes. Un constat qui ne surprend pas Céline Nony, journaliste à l’Equipe et ancienne gymnaste : « Depuis une vingtaine d’années, ce sont surtout les Russes qui dominent (en concours individuel notamment, ndlr). Elles maîtrisent parfaitement tous les aspects de la GR. Physique, travail corporel, technique, inventivité, esthétique, elles ont tout d’un coup. Elles réalisent des performances incroyables. » Une perfection qui n’échappe pas non plus aux yeux de Noémie Balthazard, membre de l’ensemble de l’Equipe de France depuis six ans. « En Russie, vers trois ans, on impose aux jeunes filles le sport qu’elles vont pratiquer. Ainsi, elles commencent le travail technique très tôt. Elles grandissent avec l’engin. Si bien que le touché à l’engin devient naturel, presque banal. Quand elles arrivent à maturité, elles sont capables de faire des choses incroyables. Ce sont presque des extraterrestres ».
Toujours une longueur d’avance
En France, les gymnastes découvrent le haut niveau vers 14, 15 ans. A cet âge là, en Russie, elles font déjà parties de meilleures du monde. « Il y a des campagnes de détection très précoces et très efficaces en Russie, explique la journaliste. Ils ratissent extrêmement large et font venir des jeunes filles de toute la région dans le centre national de formation. La concurrence entre les filles est très forte. » Une fois à Moscou, les jeunes gymnastes sont intégralement prises en charge avec leur ancien entraîneur. A celui-ci s’ajoute toute une structure : entraîneurs nationaux, danseurs, chorégraphes, cuisiniers, costumières, répétiteurs… « Le réservoir Russe est impressionnant, raconte Noémie Balthazard. Sur chaque compétition, nous découvrons de nouvelles gymnastes. En France, quand deux filles se blessent, il est très compliqué de les remplacer. » Grâce à ce réservoir étoffé, l’école russe accentue, au fil des années, sa domination. « Toutes les évolutions sont testées en amont sur les plus jeunes, explique Céline Nony. Quand elles arrivent à maturité, les autres nations n’ont même pas eu le temps d’envisager ces mouvements alors que les Russes les maîtrisent parfaitement. » Une longueur d’avance qui leur permet « d’initier les règles ». « Nous passons notre temps à imiter les Russes et les Bulgares », confie la jeune Française. Pour pousser plus loin le « plagiat », les fédérations européennes s’entourent d’entraîneurs venus tout droit de pays de l’est. Ainsi, depuis 2007, l’entraîneur de l’équipe de France, Adriana, est Bulgare. Et ses méthodes aussi, comme le raconte la gymnaste tricolore : « La façon d’aborder l’entraînement est complètement différente de ce qui se fait en France. A chaque séance, il y a un programme à respecter. Que l’on soit malades ou fatiguées, c’est la même chose, il faut aller au bout en exécutant parfaitement les exercices. Tant que nous n’avons pas réussi, nous continuons. Parfois ça peut durer longtemps. » Les jeunes Françaises franchissent souvent la frontière pour faire des stages dans le pays de leur coache. Un système qui a ses limites. « Adriana nous parle en anglais. Pour le côté technique, il n’y a pas de problèmes. Par contre, il est difficile de jouer sur le côté émotionnel, d’utiliser des mots qui nous parlent et qui nous donnent envie de se sortir les tripes en compétition. »
Entre 3000 et 5000 euros à 15 ans
Outres les méthodes d’entraînement, c’est tout un mode de vie qui diffère entre ces deux cultures. Les « filles de l’est » ne vivent que pour la GR. Très jeunes, elles gagnent déjà leur vie. Ainsi, en Russie, une adolescente de 15 ans gagne entre 3000 et 5000 euros par mois. Une situation en partie possible grâce à un personnage incontournable dans le milieu de la gymnastique rythmique : Irina Viner. Depuis le milieu des années 90, elle contrôle l’univers de la GR en Russie et par conséquent dans le monde. Elle bouleverse ainsi les codes du sport, faisant évoluer les règlements internationaux en fonction des qualités de ses gymnastes. Une influence en partie possible grâce à sa situation financière. Son mari, Alisher Ousmanov, est l’homme le plus riche du pays. Riche et dotée d’un fort caractère, la « grande prêtresse » de la GR s’autorise ainsi tout ce qu’il y a de meilleur. Création d’un centre sportif, déplacement dans les meilleurs hôtels. On la soupçonne, sans preuve, d’acheter quelques juges. Elle s’applique aussi à soigner ses petites protégées. « Un jour, la maman d’une gymnaste m’a confiée donner une cuillère de caviar chaque matin à sa fille car c’était, selon elle, l’aliment le plus riche en nutriments », s’amuse l’ex-gymnaste.

Irina Viner (au centre) pose, en 2010 aux côtés du président Russe, Dmitry Medvedev, et de l’équipe nationale de gymnastique rythmique.
Crédit photo : AFP
Plus au sud, en France, les GR ne gagnent rien. Tout en menant leur carrière sportive, elles doivent anticiper sur leur avenir. « Pour nous, la GR est un objectif à court terme qui relève d’un rêve d’enfant, souligne le gymnaste grenobloise. Nous avons un devoir moral, celui de représenter la France, mais rien d’autre. Parallèlement, nous préparons notre reconversion. Ce sont des concessions que nous nous refusons de faire car nous n’en avons pas les moyens ». Quand on évoque le « double projet » des meilleures mondiales avec Céline Nony, elle sourit : « Cette année, le manager de l’équipe de l’Azerbaïdjan est allé passer le bac pour ses filles qui disputaient le championnat d’Europe. En Russie, les filles ont des répétiteurs qui viennent leur enseigner un minimum de culture mais elles n’ont ni examen, ni université. C’est incomparable avec la situation des Françaises qui ont pourtant le même objectif final. »
Un objectif que les Françaises savent quasiment inatteignable. Mais pourtant, chaque matin, elles se lèvent, elles s’entraînent, elles regardent au loin avec toujours cette même envie : l’envie d’aller au bout de leur aventure et de toucher du doigt leur rêve d’enfant.
Méryll Boulangeat
@Meryll_B
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