Deux heures du matin. Mis à part le cristallier qui dort à poings fermés, le refuge s’est vidé. Chloé, la gardienne, nettoie les restes de petits déjeuners précoces. Plus bas, sur le glacier, on aperçoit quelques lumières d’alpinistes matinaux. Le ciel démesurément étoilé et le silence qui y règnent dégagent une atmosphère presque magique, hors du temps, féérique. Un seul détail ramène à la réalité : le froid. Il est bien présent. Petit à petit il s’incruste, parcoure la totalité du corps. Mais il est pur, presque agréable, car unique. En montagne, le froid est différent.

Les Grandes Jorasses entre couché de soleil et levé de lune
La veille, le petit refuge de Leschaux était en ébullition. Après une saison compliquée pour les alpinistes, les derniers beaux jours d’été sont optimisés. Tous se précipitent en montagne, à l’assaut de voies extrêmes qui les font tant vibrer. Ici, c’est la face nord des Grandes Jorasses, dans le massif du Mont Blanc, qui est convoitée. « Comme beaucoup d’alpinistes, j’entretiens un rapport particulier avec cette face nord qui porte en elle l’histoire de l’alpinisme. Chaque voie est un beau voyage, raconte l’alpiniste Morgan Baduel. Elles sont comme les pages d’un livre à dévorer. Cet univers radical nous pousse dans nos retranchements, nous met à nu. Toutes ces lignes bercent l’imaginaire, les peurs, les aspirations. »

Eliot pris en photo par son ami Morgan Baduel pendant l’ascencion CP/Morgan Baduel

En rouge, le chemin emprunté par les alpinistes pour atteindre le sommet. cette voie se nomme le « Colton Mc Intyre ». CP/Morgan Baduel
Une petite trentaine de personnes est venue passer la nuit dans le refuge avant de se lancer à la conquête de leur objectif. « C’est la première fois que je fais cette voie, se réjouit Guilia, une alpiniste Italienne. » Dans le refuge, peu de place aux femmes. Elles ne sont que trois. Et quand on voit la face qui se dresse devant ces petites nanas, on comprend mieux pourquoi. Guilia est une skieuse et une alpiniste expérimentée : « J’ai fait beaucoup de ski, notamment en freeride, puis de l’escalade et de la cascade de glace. Petit à petit ces expériences m’ont conduites à l’alpinisme. »

Pour arriver au refuge, les alpinistes sont partis de la célèbre station Haute-Savoyarde, Chamonix. Ils ont pris un train, descendus des échelles verticales fixées dans la roche, emprunté une mer de glace avant de rejoindre le glacier de Leschaux pour finir par de nouvelles échelles acrobatiques menant au refuge perché. Un parcours du combattant ? Une formalité pour ces aventuriers des temps modernes. Rejoindre le refuge n’étant qu’une marche d’approche tellement anodine face à l’objectif fixé.

Après (et surtout avant) l’effort, le réconfort d’un panorama magnifique

Une fois au refuge, les alpinistes profitent des derniers rayons du soleil et repèrent leur itinéraire du lendemain
Arrivés au refuge, Chloé les attend. Avec son sourire et…son chat.

Pour effacer la sensation de solitude quand les alpinistes se font discrets, Chloé peut compter sur « Joras », son chat.

De mi juin à mi septembre, Chloé passe tout l’été à 2431 mètres d’altitude. Elle ne redescend que très rarement pour faire quelques courses et voir ses amis. Disons que les trois heures de marche ne lui facilitent pas la tâche.Deux fois par été, elle fait venir un hélicoptère qui lui livre des vivres. La gestion des stocks est très importante.

L’heure du repas. Un moment convivial. Au menu : soupe de légume et tomme de savoie, croziflette, gâteau à l’abricot.
Sur place Chloé se sent privilégiée : « J’ai de la chance, j’ai beaucoup de confort ici. Je peux faire ma vaisselle et me laver à l’eau chaude. Je capte internet et même la télévision. Tout ça m’a bien aidé cet été car à cause des conditions, je n’ai pas vu grand monde jusqu’à maintenant. »
Chloé est seul maitre à bord de ce refuge métallique incrusté dans la falaise. Elle s’occupe des réservations, de la nourriture, des couchages et même du réveil. Ainsi, aujourd’hui, plusieurs réveils sont programmés dans la nuit. De minuit à deux heures du matin, elle passera sa tête de blondinette trois fois par la porte des dortoirs avec toujours cette petit voix : « Bonjour, il est minuit ! ».

Les dortoirs

Chloé aux fourneaux
La nuit passée, le refuge vidé, elle se retrouve seule à nouveau. Pas le temps de flâner, il faut tout ranger, nettoyer et cuisiner pour accueillir au mieux ses hôtes d’un soir. La journée ne fait que commencer mais elle semble ne jamais se terminer. Parfois, elle se sent surmenée. Alors elle se pose, elle regarde les montagnes et se dit que pour rien au monde elle ne voudrait passer son été ailleurs.

Méryll Boulangeat @Meryll_B